Il m’arrive parfois de m’imaginer dormir dehors, sous une tente, non pas au sommet d’une montagne, mais dans les bas-fonds de Longueuil, près du pont, là où se trouve un campement de sans-abris. Il est si facile de sombrer. Le vilain hasard peut tout faire basculer. Les histoires d’itinérance ne sont qu’une succession de mauvais coups de dés. On a l’impression de se trouver en pleine tragédie grecque quand on écoute ces récits. Chaque fois, ça me broie le cœur. Chaque fois, je me dis que ça pourrait m’arriver.
À la radio, j’écoutais cette semaine, de façon distraite, une chronique économique qui m’a fait grincer des dents. Alors qu’on apprenait qu’une famille de quatre devra débourser environ 800 $ de plus pour s’alimenter l’an prochain, que les banques alimentaires peinent à subvenir aux besoins des familles québécoises, qu’un nombre ahurissant de gens se retrouvent à la rue, sans loyer, le chroniqueur Pierre-Yves McSween donnait ses petits trucs, en rigolant, afin de « faire de l’évitement fiscal légalisé ».
Je l’entendais parler de CELI, de liquidité non imposable, d’achat de première maison sans gain imposable en me demandant ce qui était en train d’arriver avec ma radio payée avec mes impôts.
Je trouvais profondément pitoyable cette discussion de riches en train de s’enrichir alors qu’un nombre grandissant de gens se retrouvent sur le seuil de la pauvreté.
Je me suis demandée s’il était possible qu’un jour on accorde un plus d’espace aux gens de peu, aux gens de rien, à la « débrouillardise des gens sans fortune », comme disait Jacques Ferron. D’ailleurs, je me suis rappelé qu’ici même, à Longueuil, il n’y a pas si longtemps, se trouvait une « agglomération de maisonnettes pour la plupart inachevées, souvent bâties avec des matériaux de fortune. » (Jacques Ferron, Escarmouches, Bibliothèque québécoise, 1998, p. 151). C’était à l’époque où Longueuil s’appelait Ville Jacques-Cartier.
Dans ce monde, ma radio ne raconterait pas comment éviter de payer des impôts. Elle parlerait plutôt de ralentissement économique et de simplicité volontaire. On apprendrait comment vivre heureux peu, avec rien.
En discutant du sujet de ce texte avec mon amoureux hier, il m’a lancé ceci :
— Pierre-Yves McSween, ce n’est pas le gars qui a écrit le livre « En as-tu vraiment besoin ? ».
Nous avons ri.