Les pluies d’été m’apaisent. L’abrupte interruption du soleil me soulage après des journées à plisser les yeux, à s’étonner qu’autant de lumière soit possible. C’est un repos forcé, un bref encabanement, tandis qu’éclate l’averse contre le toit de tôle de cette maison, qui est la mienne, désormais, tout en bois, issue d’arbres et de forêts. Il existe un bonheur à retrouver l’immobilité, à s’enfermer chez soi.
Je reviens d’une conférence que j’ai offerte aux profs d’éducation physique. C’est la première fois que je me lance ainsi devant public, que je raconte à voix haute une histoire personnelle, mon parcours, que je me donne, ainsi, si on veut, en spectacle. C’est l’ami Dominic Arpin qui m’a fait réaliser ce que je faisais. « Tu es en rodage », m’a-t-il dit. Tu testes devant public ton show. » Nous étions en train de courir dans le quartier, un matin de cette semaine chargée où je réécrivais sans cesse les lignes de la présentation que je m’en allais donner devant une salle comble d’enseignants. Du moins, c’est ce que je visualisais. La conférence avait été choisie en clôture du colloque. Il m’était maintenant possible d’imaginer un amphithéâtre rempli, un éclairage de scène, les battements de mon coeur en panique, un peu de tremblement dans la voix, dans la gorge.

De nature timide et anxieuse, jamais, auparavant, je n’aurais accepté un tel mandat. Mais depuis la course à pied, j’ai appris à m’aventurer du côté des projets fous vus de loin, mais réalisables, à petits pas, étapes après étapes. En fragmentant ce qui m’effraie pour en faire ainsi quelque chose de réaliste, j’atteins mes objectifs ou je ne les atteins pas. J’ai appris à me détacher des épreuves. J’ai appris à les prendre et les mettre sur mon dos, à faire avec, à faire de mon mieux.
Il a d’abord fallu que je m’essouffle en courant. Courir répondait à une quête de performance. J’avais besoin de sentir mon coeur battre à folle allure. Si j’étais bonne sur jambes, si je me retrouvais sur le podium, c’est qu’il existait en moi une quelconque forme de valeurs. C’est par la course à pied que j’ai réalisé que les grandes performances, faire un bon temps lors d’un demi-marathon, par exemple, ne sont que des petites performances plusieurs fois répétées, vécues au quotidien. Le fait de quitter mon lit à l’aube, pour courir ou pour écrire, chaque matin, fait en sorte qu’au final, j’atteins naturellement la distance exigée en compétition. En suivant la même discipline sportive, les pages d’un roman s’écrivent.
L’écriture est une posture reprise sans répit, un corps courbé, une main écarquillée, un biceps contracté obéissant au flux de la pensée.
Je me suis lassée d’elle, la vitesse, lorsque j’ai découvert les sentiers. C’est l’odeur d’eau et de terre, le parfum chlorophylle des feuilles. C’est la qualité de la lumière, le silence. En fait, il m’est difficile d’expliquer ce qui s’opère quand je me trouve dans les bois. Ce que je sais, cependant, c’est que je réfléchis. Les pensées se précipitent quand j’arpente de longs parcours.
Les soucis du quotidien deviennent banals après 33 heures d’endurance à gravir des sommets, à traverser boue et rivières, racines et roches. On se penche, ensuite, sur la feuilles et on écrit, l’esprit nourri par l’air pur et les conifères qui nous ont accompagné. On a confiance. Et voilà bien ce qu’il faut, de l’espoir, pour s’aventurer aussi longuement dans un projet d’écriture qui, au final, exigera deux ou quatre, cinq ou six ans d’aube et d’insomnie. Dans la vie, comme en écriture, rien ne sert de courir.
C’est remarquable! Quelle résilience face à l’adversité! Je vous félicite!
Quelle belle analyse où l'on comprend ton évolution dans ce parallèle entre la course et l'écriture. C'est aussi cela la Vie.