Les carnets dans lesquels j’écris normalement remplissent presque une étagère entière de la bibliothèque appuyée contre le mur de la grange, près du vieux voltaire, estropié, à trois pattes au lieu de quatre, où j’écris.
J’ai l’habitude de m’installer là, en tête à tête avec le papier tout blanc et vierge de mes cahiers tôt le matin, avant le bruit, les demandes des enfants et les obligations parentales et professionnelles.
Parfois, mon chat Haruki Murakami se pose sur mes cuisses et nous écrivons ainsi à plusieurs pattes. Parfois, il s’assied près de la fenêtre et travaille de façon indépendante sa poésie. Alors, je ne le dérange pas.
Depuis quelque temps je suis inquiète. L’inquiétude fait partie du quotidien d’une artiste, cela n’est pas nouveau pour moi. Ce qui est différent c’est que depuis octobre je me suis lancée dans un processus de création littéraire sans appui financier. Toutes les demandes adressées aux conseils des arts se sont soldées par des refus. Je me retrouve ainsi en précarité financière. Ce qui me force à envisager plusieurs alternatives : mettre fin à l’écriture de mon roman, par exemple, ou encore trouver de petits contrats ici et là de façon à obtenir des montants pouvant me permettre de survivre, si on veut.
Le terme « frais de subsistance » n’existe plus au Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). L’organisme qui épaule les artistes préfère employer le mot rémunération. Or, pour être franche, ce n’est pas avec un montant annuel de 20 000$ imposable qu’il est possible de payer l’épicerie pour 4 enfants, 2 adultes, ni la voiture, ni le transport vers l’école à 22 km de chez moi, ni la maison possédant 5 chambres à coucher pour loger 4 enfants et deux adultes.
Les épreuves sont des moteurs de création. Les épreuves donnent de l’élan. Voilà ce que je me suis toujours répétée. Parfois, croire en cette connerie m’épuise. Parfois, on meurt de pauvreté.
Je n’écrirai pas ici la mort de ma mère. Je ne raconterai pas comment j’ai dû mettre fin à mes études par manque de fonds.
Le manque est une force. Pour combler, on invente. J’ai appris à imaginer. J’aime me battre longtemps. Je cours des ultramarathons en forêt, en montagne qui durent des jours. Être épuisée ne me fait pas peur.
Si vous vous êtes rendu jusqu’à cette ligne que j’enfonce au clavier, à l’instant, peut-être avez-vous envie de me suivre à travers ce chemin tortueux, parsemé de trous, de doutes et d’épreuves, ce trajet qui conduit (ou ne conduit pas) à l’écriture de mon prochain roman.
Pour l’instant, je suis encore au tout début du processus. J’avance lentement.
Je sais qu’il sera question de Marie. Marie occupe mes pensées depuis plusieurs mois. Elle est devenue un personnage le jour où, en surprenant la vieille dame qui ramasse les bouteilles à consigner dans le quartier, je me suis mise à lui imaginer une vie. Je la mets en scène depuis plusieurs carnets maintenant.
Pour connaître la suite de l’aventure, rendez-vous à la prochaine lettre.
xx Anne (et Haruki)
Bonjour Anne,
Au premier regard,
votre gorge dénudée et votre tête renversée sur cette très belle photo me font ressentir toute la vulnérabilité de l’écrivaine laissée à elle-même, sans le soutien nécessaire pour continuer d’avancer.
Puis dans un second temps, ce n’est pas de la vulnérabilité que j’entrevois mais de la confiance de se laisser aller dans l’inconnu aussi fragilisant que cela puisse être. Je vois une athlète qui plonge en piscine en position renversé débutant par des mouvements simples se complexifiant avec le temps. Je vois aussi la possibilité d’un réflexe de survie , de se balancer la tête vers l avant pour foncer à travers les obstacles comme vous le faites si bien en courant.
Anne je vous découvre à l’instant et c’est de ce pas que je vais me procurer vos romans…
Que la force soit avec vous!
Cordialement , Caroline
Déjà charmée par ton écriture Anne et ton majestueux chat! :)